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Lazare médecin atypique

Lazare médecin atypique

c'est la deuxième vie de mon blog Alceste médecin atypique , après une fracture de vie , revenu du royaume des morts , et devant l'entrée de la vallée des ombres mon regard a nécessairement changé


Noz en Nedeleg, ou rencontre d'un certain "type"

Publié par anton ar gwillou sur 6 Février 2016, 11:08am

Catégories : #société

Noz en Nedeleg, ou rencontre d'un certain "type"

Cette nuit de noël, je devais rentrer sur mon hôpital pour prendre ma garde .Nous avions partagé un réveillon avec les enfants en début de soirée afin que je sois opérationnel pour le lendemain matin ;

Il avait fortement neigé, évènement rare dans ce département des marches de Bretagne .La route était glissante, je roulais lentement, laissant mes pensées, errer tout en écoutant les variations Goldberg, jouées par Glen Gould .Je m’engageais, sur une petite route départementale, et me retrouvais seul avec Bach et le ronronnement du moteur. J’appréciais, d’une certaine façon ce moment de solitude, pendant que la population s’enivrait, en des agapes effrénées indifférente à ceux qui ce soir auraient pour seul compagnon leur assiette et le triste clignotement de leur sapin.

La neige recouvrait de son manteau de silence, un paysage de bocage désert, où parfois une lumière signalait une ferme.

Soudain, le faisceau de mes phares, éclaira un homme, les pieds dans la neige, recroquevillé dans un vieux manteau, tendant le bras dans ce mouvement bien connu des autostoppeurs.

Je m’arrêtais sans hésitations. Comment laisser un homme mourir de froid par cette nuit qu’elle soit de noël ou non! J’ouvrais la porte, côté passager :

Bonjour, qu’est-ce qui vous arrive ?

Rien, je fais la route .Pouvez-vous me déposer, dans un endroit où je puisse me réchauffer et manger ? Plusieurs voitures sont passées sans s’arrêter, j’ai cru que j’allais y rester.

Je découvrais alors qu’il était de cette race maintenant disparue des routards, ex « cheminots », moitié mendiant moitié hippie.

Montez, on va voir ce qu’on peut faire.

Peu à peu il commença à se réchauffer. A la dérobée, je l’observais. Barbu, pour ne pas dire hirsute, il était difficile de lui donner un âge. La fatigue se lisait dans les profondes ravines de son visage, mais le regard était clair et vif. Il me demanda une cigarette et je lui en offrait une, soulagé , car il ne sentait pas la rose .

Il m’expliqua alors qu’il parcourait les routes d’Europe, sans destination précise. Je découvrais un homme cultivé, à la conversation agréable, il était ouvrier qualifié en menuiserie .Il me posait beaucoup de question sur mon métier et moi sur le sien, j’ai toujours été fasciné par le travail du bois.

Je lui proposais alors de dormir dans mon appartement. Surpris, il accepta avec reconnaissance.

Je disposais d’un petit logement que me louait l’hôpital, car à cette époque mon épouse et moi-même vivions séparés.

Je lui donnais la chambre car de tout façon je préférais en général dormir dans le salon, et m’endormir devant la télé afin de ne pas ruminer ma solitude.

Je lui préparais à manger. Visiblement affamé, il finit par vider mon frigo. Nous avons discuté littérature, politique, et je découvrais un homme à la culture classique, avec une bonne analyse des problématiques sociétales.

Il manifesta de l’étonnement à e que je l’ai invité comme ça, sans aucune inquiétude. je lui expliquais que cela avait été une évidence pour moi, de ne pas le laisser crever de froid par cette nuit de noël pendant que le bourgeois faisait bombance et que de tout façon pratiquant les arts martiaux, je n’avais pas de crainte à cet égard.

Notre société petite bourgeoise, ferme ses portes à la souffrance et la misère, mais surtout à la différence. Le regard se détourne devant celui qui appelle au secours, et on n’hésite pas à enjamber les cadavres des clochards les bras chargés de victuaille en ces fêtes de noël. Le peuple de la terre n’est plus qu’un étranger à lui-même, et le capitalisme financier nous inculque l’indifférence, le cynisme, et l’hédonisme mercantile.

Bientôt je le poussais vigoureusement vers la salle de bain car il la méritait … mais avant, ayant remarqué ma bibliothèque il me demanda l’autorisation de prendre quelques livres.

Le lendemain matin, levé tôt pour ma garde je le sortais de lit, un peu hagard. Il n’avait pas dormi, ayant lu toute la nuit.

Avant de partir, je lui proposai de lui faire cadeau d’un ou deux ouvrages, lui donnait de surcroît une carte de France plastifiée. Il me remercia chaleureusement.

Nous nous sommes serrés chaleureusement la main, un peu gênés, je crois qu’il aurait aimé faire un bout de chemin avec moi. Nos routes se sont séparées, et je pense souvent à lui, marchant, tel un sage sur nos routes. Je l’ai regardé s’éloigner, silhouette sombre, bientôt dissimulée par la bourrasque de neige. Je lui avais dit que s’il n’arrivait pas à trouver un véhicule de revenir frapper à ma porte le soir.

Ce fut une rencontre d’homme , qui m’a fait ressentir douloureusement l’absurde de ce monde égoïste , déshumanisé , ce monde qui nous réduit à l’état de client potentiel , de la grande débauche voulue par nos maîtres marchands et spéculateurs .Un monde qui voudrait nous empêcher de connaitre l’autre , dans son humanité , nous empêcher de partager , d’échanger de s’enrichir de notre alter ego .

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A
J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte et un blog très intéressant. Je reviendrai m’y poser. N’hésitez pas à visiter mon univers (lien sur pseudo) A bientôt.
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