La lettre

Ce jour, au courrier, j’ai trouvé une lettre au format carte de vœux, dont j’ai immédiatement reconnu l’écriture scolaire, celle de mon frère.

Il est assez étonnant que cette graphie n’ait aucunement changé malgré le temps long. Celle d’un élève, de terminal scientifique, assez studieux mais sans conviction particulière, plutôt sportif du reste .Je me souviens de l’admiration que j’éprouvais à son égard pour ses performances sportives, sa grande taille déliée qui lui donnait cette aisance dans tous ce qu’il pratiquait. Lui probablement faisait de même, devant ma désinvolte facilité à écrire ou à bâcler mes devoirs.

Le bac obtenu, mon frère s’est spontanément et de façon très anticipatrice orienté vers l’informatique balbutiante à l’époque, terre vierge encore à explorer .Fortement littéraire dans une filière scientifique, mes enseignants voulaient me faire poursuivre dans cette voie, mon père proposa médecine .J’ai déjà raconté comme j’ai accepté de présenter le concours une seule fois et en cas d’échec avoir le droit de choisir ce que je voulais. Le destin voulu que je fusse reçu du premier coup.

J’ai posé la missive à côté de mon ordinateur sur la table du salon où je prends mes repas et tout en mangeant je l’ai regardée longuement sans l’ouvrir. Je supputais ce qu’il avait écrit. L’écriture ce n’est pas son truc, et puis il est assez pudique, enfin avec un caractère qui tiendrait du menhir, comme ses lointaines origines paternelles. Je ne voulais pas me faire d’illusion après ce long silence qui avait posé sa chape sur nos rapports, mais de sa part s’était à l’évidence un geste courageux. Les asiatiques, estiment que dans un relation à connotation conflictuelle, l’important est que l’adversaire ne perde pas la face. Ils ont élaboré toute une subtile stratégie à cet égard, un peu à la façon de « l’art de la guerre » de Tsun Su .J’ai opté de façon probabiliste pour des vœux sobres et conventionnels .J’ai fini mon repas, et puis j’ai attendu que l’émission politique sur la cinq finisse par me lasser. J’ai cherché un cutter pour l’ouvrir proprement, elle le méritait. La lame a fait émerger le bord supérieur d’une longue carte imprimée. J’ai encore attendu et les souvenirs ont afflué. Nous étions …..Comme deux frères ! Complices en tout, mais si différents .Nous partagions une même approche critique du monde. Dans le temps de la « genèse » il y a eu ce groupe amoureux constitué par Domi , Catherine , Didier et moi . Tout a commencé à ce moment-là. Je me souviens comment nous nous retrouvions le weekend après la semaine de fac pour courir tous les deux avec cette rivalité sportive qui symbolisait si bien l’un des fondements de notre relation. L’été, c’était les sorties en mer avec notre vénérable fireball , mille fois réparé avec lequel nous avons pris tant de risque . Nous partagions cet amour de la mer et du vent. Ce vent qui faisait vibrer la coque au planning. Alors nous étions à l’unissons .La vie a fait diverger nos trajectoires, les a éloignées de plus en plus mais pendant longtemps nous avions ces retrouvailles chaleureuses qui assuraient la solidité de notre fraternité. Certes il ne comprenait pas ce qui m’arrivait, ce trajet chaotique que prenait mon existence, mais il y avait ces instants qui effaçaient tout. Un jour dans un pub il a pris un dessous de verre et l’a déchiré en deux. Il m’en a donné une moitié et m’a dit : si un jour tu as un problème redonnes moi cette moitié et je t’aiderai. je l’ai pris au sérieux.

J’ai sorti lentement la carte : Un choix intentionnel qui fait référence à mon gout pour l’écriture, une attention affectueuse, une reconnaissance de ce qui me structure profondément par-delà les tempêtes. Je l’ai retournée confiant. Une formulation conventionnelle et distanciée comme je m’y attendais, mais la calligraphie dénotait une certaine chaleur, une certaine émotion. Je l’ai posé côté illustration. Et j’ai médité. Comment répondre .J’ai d’abord élaboré divers textes tout aussi informels que le sien, et puis je suis allé me coucher et ce matin j’ai écrit cela que je vais poster sur mon blog. Je lui en ferai part, ce sera ma réponse.

Il faut dire qu’après le drame qui a détruit ma vie, il a brillé par son absence. Je comprends maintenant que nos pudeurs réciproques ne nous ont pas permis de communiquer, et je lui pardonne donc, je suis finalement aussi responsable que lui. Pourtant il y a quelque chose qui brisé nos liens fraternels pendant tout ce temps.

La dernière fois que je l’ai vu, j’ai essayé de lui faire comprendre à demi-mots (c’est probablement là mon erreur) que si je ne retravaillais pas je serai obligé de me suicider .Rien à l’époque ne laissait présager que cela serait possible. Je lui ai exprimé mon angoisse. Il m’a répondu avec un petit sourire en coin : « oui c’est un problème ». Mais de toute évidence, il n’avait pas compris. S’en est suivi un long temps de silence et d’incompréhension douloureuse.

J’ai réussi à m’en sortir, seul .Je me suis senti…..Seul ! Aujourd’hui, il y a cette lettre, j’en suis heureux, mais la plaie béante dans mon cœur, va mettre quelque temps à cicatriser et comme le disait Mitterrand : « il faut laisser du temps au temps » .Peut être retrouverons nous ces moments de grande complicité, mais les choses sont devenues un peu compliquées pour moi maintenant ? Qu’importe cette lettre m’oblige. C’est moi qui ai la main maintenant et je ne manque pas de courage.

Errare humanum est, sed perseverare, diabolicum est : Mais je suis un indécrottable romantique , dans la vraie vie les choses ne se passent jamais comme on les rêvent

Comments

[Maman ,]

Ce texte m'a beaucoup émue ...Je suis heureuse Antoine que cette année 2016 voit un rapprochement. entre vous deux....C'était douloureux pour moi cet éloignement non seulement par la distance mais surtout par les sentiments qui en fait étaient en sommeil en vous deux . Alors merci à tous les deux MAMAN.